Golé Nyambaka, la cantatrice qui chantait dans l’oreille du Président Ahmadou Ahidjo

C’est votre Histoire, vous devrez la connaître !( Même si c’est long)
Elle est certainement la plus grande chanteuse de la région septentrionale du Cameroun mais son histoire est très peu ou pas du tout connue. Pis, on ne trouvera ses chansons nulle part sur internet, et pourtant ce fut une véritable vedette dans le Nord Cameroun et les pays limitrophes ( Tchad, Nigeria, RCA).

C’est l’histoire d’une artiste qui a profondément marqué les consciences la région septentrionale du Cameroun en raison de son talent, de son génie, de ses chansons et de son engagement. Rien a priori ne la prédisposait à une brillante carrière musicale.

Golé Nyamabaka est née en 1943. Elle est issue d’une famille peule et musulmane très pauvre; son père Hamadjouldé est un cultivateur d’origine centrafricaine et sa mère, la dénommée Satou est une esclave laka. Celle -ci avait été offerte comme présent à Mal Mana Balwali, un éleveur peul de Maroua. L’esclavage a fortement rythmé pendant plusieurs siècles la vie des populations des régions septentrionales du Cameroun.
Golé va connaître une enfance très difficile. Ses frères et soeurs et elle en tant que descendants d’esclave sont la propriété du maître de leur mère et il peut disposer d’eux comme il le veut. Ils sont donc victime de l’esclavage.
Elle sera mise à la disposition de plusieurs maîtres différents. Serviable et docile, Golé est plutôt bien traitée par ses maîtres. Dotée d’une belle voix suave, elle va profiter de la tolérance de ses maîtres pour s’exercer à la musique. En réalité, Golé chante tout le temps. Elle réalise ses tâches quotidiennes en chantant. Elle utilise la chanson pour exorciser ses peines, ses souffrances.
Elle se réfugie très tôt dans la musique pour faire face aux contraintes sociales auxquelles elle est assujettie.

Dans une région où la musique et la danse sont considérés comme des métiers indignes, elle décide de redonner vie au rythme musical local appelé “ndabjah”; elle va réussir à sortir ce rythme de sa torpeur et le rendre populaire. Elle va créer un orchestre avec lequel, elle va sillonner les scènes et faire étalage de son génie. Elle devient une grande figure régionale, une véritable vedette qui défend les causes des femmes et des laissés pour compte. Ses chansons sont pleins de messages de sagesse, d’amour, de tolérance.

L’orchestre de Golé animait les mariages, les fêtes religieuses mais aussi les meetings politiques. En effet, Golé fut une fervente militante de l’UNC ( Union National du Cameroun), ancien parti unique. Ce parti va utiliser son image et sa notoriété pour pour recruter des militants. Ils vont l’utiliser et faire d’elle une une caisse de résonance du parti dans la région du fait de sa popularité et sa capacité à mobiliser les masses. Elle vouait une admiration sans borne aux Président Ahmadou et celui-ci le lui rendait bien.
Elle s’est muée en véritable griotte pour chanter ses louanges, énumérer ses réalisations, célébrer son amour pour le Cameroun. Celui-ci aimait beaucoup sa musique et n’hésitait pas à l’inviter pour des soirées privées. C’était son artiste préféré; elle chantait littéralement dans ses oreilles. Leur destin restera intimement lié.

La carrière musicale de Golé se déroule entre 1960 et les années 1980 ce qui coïncide avec le règne d’Ahmadou Ahidjo et celui de son parti, l’UNC. Parti qui a exploité son image. Le déclin de Golé coïncide avec la démission du Président Ahidjo en 1982; elle ne s’en remettra jamais.
Très affectée psychologiquement après la démission de celui-ci, elle décida de se retirer progressivement de la scène artistique.

Étant la mascotte du parti, sous Ahidjo et ne comprenant pas l’acharnement contre celui-ci, Golé fut très affectée. En 1984, après le départ du pouvoir du Président Ahidjo, elle fut invitée à chanter lors d’un meeting du parti. Très émue, elle a fondu en larmes devant les militants et responsables du parti à Ngaoundéré. Incapable d’aligner des phrases , elle a noué son bout de pagne et l’a enfoncé dans bouche et confia qu’elle ne pouvait pas chanter car le nom du parti et l’image du président Ahidjo lui hantait l’esprit. Et qu’il était difficile pour elle de dissocier l’UNC de l’image du Président Ahmadou Ahidjo. Elle quitta la scène en sanglots et s’éclipsa en promettant de ne plus chanter jusqu’à sa mort.

Elle est morte le 27 décembre 1988 à Tchabbal, près de Ngaoundéré . Elle avait seulement 45 ans. Elle est morte dans l’indigence totale et l’indifférence générale. Elle avait perdu tout l’argent qu’elle avait engrangé dans sa carrière musicale à cause de son extrême naïveté, sa prodigalité et générosité. Elle a très mal géré ses ressources.
Golé a eu une vie amoureuse chaotique; elle s’est mariée à 5 reprises et a eu plusieurs amant, elle évoquait ceux-ci dans ses chansons. Toutefois, elle n’a jamais connu les joies de l’enfantement ce qui la peinait particulièrement.

Son héritage musical, son engagement politique, son combat pour l’émancipation de la femme et des laissés pour compte dans une société phallocratique doit être connu.

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