La tentative d’assassinat du Makossa et le déclin de la musique Camerounaise

C’est notre Histoire, nous devons la connaître et l’assumer. Voici un pan de l’histoire de la musique Camerounaise que beaucoup évitent d’évoquer.

A la fin des années 70 et au début des années 80, la musique Camerounaise était à son sommet. Le Cameroun régnait en maître au firmament de la musique africaine. Les artistes et musiciens camerounais étaient et réclamés partout en Afrique. En Côte d’ivoire, en Zambie, au Kenya, au Congo, au Botswana, en Ethiopie ; on écoutait la musique Camerounaise. C’était l’âge d’or du Makossa. Les Camerounais étaient fiers de leur musique et achetaient les disques. Les concerts étaient toujours pleins à craquer.

Une émission à contribuer à rapprocher la musique Camerounaise de son public. C’est l’émission télépodium animée par Elvis Kemayo. C’était l’émission la plus regardée à la télévision Camerounaise ; elle a contribué à révéler plusieurs icônes de la musique Camerounaise.

Le Makossa était à la tête des rythmes qui faisaient la fierté du Cameroun. C’était l’âge d’or du Makossa. Les artistes makossistes enchaînent les succès à tel point que même les artistes originaires d’autres régions du Cameroun décident de chanter en duala. C’est le Cameroun qui gagne. L’émission télé-podium n’échappe pas à l’emprise du Makossa. Son plateau est dominé par les artistes Makossa ; ce qui est tout à fait normal puisque c’est le rythme en vogue. Mais Elvis Kemayo a à cœur d’équilibrer les choses. Il offre sa tribune à tout le monde : les artistes de rythmes divers et même les humoristes.

C’est ainsi qu’on verra défiler sur son plateau des noms comme : Ndedi Eyango, l’humoriste Jean Miché Kankan, Solo Muna, Govinal Ndzinga Essomba, Guy Lobé, Ben Decca, Lapiro de Mbanga, les têtes brûlées etc. Le succès de télépodium est tel que des artistes viendront même de l’étranger pour participer à cette émission. C’est par exemple le cas de l’Equato-guinéen Maélé.

Cette émission a largement contribué à la promotion de la musique camerounaise : Makossa, Bikutsi, Bend skin, Magambeu, Assiko etc.

Mais le succès de Télépodium fait des jaloux et des envieux au sein même de l’équipe de Kemayo. Ce qui aura même une incidence sur sa santé. Elvis Kemayo révèle que : « A Télé Podium j’avais plus d’ennemis à la télé -les techniciens- que les gens qui m’admiraient. La preuve c’est que à chaque fois que la salle était pleine et que le réalisateur faisait son compte pour que ça démarre, il y avait toujours quelqu’un qui allait couper un fil quelque part. Et tout ça retombait sur moi… Ce n’était pas sur le producteur, ni sur le réalisateur et encore moins sur le Directeur General. C’était moi Télé Podium. Et tout cela a fini par me donner la tension. Aujourd’hui je suis hypertendu à cause de Télé Podium. Donc quand vous nous voyiez briller à la Télé, c’était à ce prix-là ! ».

On va purement décider un bon jour d’évincer Elvis Kemayo à la tête de cette émission et on va confier les commandes de l’émission à l’un des principaux pourfendeurs d’Elvis Kemayo en la personne de Saint-Lazare Amougou. En quelques mois aux commandes de cette émission, il a réduit considérablement l’audience de cette émission car ce dernier avait une vision clanique des choses. Ils ne faisaient pas la promotion des talents mais souhaitaient plutôt promouvoir les artistes de leur groupe ethnique. Pour lui, le Bikutsi devait prendre sa revanche sur la Makossa.

Ce même Saint-Lazare est le créateur de l’émission « Le Volcan hitparade ». C’est le premier hitparade musical au Cameroun. L’une des émissions les plus écoutées en radio (étant donné qu’il n y’avait pas plusieurs radios à cette époque-là). Cette émission fera presque exclusivement la promotion du Bikutsi et des artistes Bikutsi. Comme s’il était question d’assassiner le Makossa. Lorsque les artistes Makossa venaient donner leur disque à la radio pour besoin de promotion, on leur demandait de fortes sommes d’argent ; ce qui n’était pas le cas auparavant. Ceux qui se livraient à cette sale besogne n’avaient pas compris que plusieurs rythmes pouvaient co-exister pacifiquement dans un pays. Pour eux, il fallait tuer un rythme pour en imposer un autre.

Saint Lazare Amougou était devenu le pape de la musique Camerounaise ; c’est lui qui faisait et défaisait les succès. Il avait surtout le souci de préserver ses gombo. On le retrouva même comme manager de Nkodo Si Tony

Même les distinctions et prix étaient dorénavant truqués et contestés puisqu’elles étaient à présent remises sur des bases tribales. Par exemple, on n’a pas compris comment l’artiste Hoigen Ekwalla qui fit fureur à la fin des années 80, ne fut pas distingué « artiste de l’année » alors que même les ventes de disques jouaient en sa faveur. Pendant ce temps, Nkodo Sitony est sacré à deux reprises epi d’or (1989 et 1990). Notons que son album « 90 degrés de Bikutsi » à l’ombre qui est sacré epoi d’or en 1989 est sorti en 1986. L’album dure deux ans avant de devenir chanson de l’année en 1989 et Nkodo Stony artiste de l’année.

Des artistes Makossa de renom vont monter au créneau pour dénoncer cet état des choses . C’est ainsi que Ben Decca va chanter , je cite prosaïquement : « Le Makossa c’est comme le Ndolé, tout le monde l’aime même ceux qui font semblant »

Voilà comment avec des réflexes ethniques et claniques, on a contribué à faire chuter un rythme qui faisait la fierté du Cameroun.

Cette période de musèlement combinée avec la piraterie correspond au déclin du makossa et de la musique camerounaise tout court.

Notons aussi que s’étant rendu compte de la bêtise de leur stratégie, pour pallier cette situation, la Sueleba 105 FM est crée à Douala est confié au brillant Daniel Zock A Mbassa qui perdit la vie un jour de 1993 sur la route Douala – Yaoundé.
Des animateurs comme Moïse Bantéké sont envoyés à Douala et vont essayer de réanimer le Makossa sur la Sueleba FM; c’est par exemple la naissance des émissions de hit parades comme Tropic Hit parades.

Je n’écris pas pour plaire. Les faits sont sacrés.

Arol KETCH
Fourmi Magnan égarée
Rat des archives

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